Le XIII entre foot australien et XV

A 18.000 kilomètres de notre Hexagone, l’Australie campe sur un vaste continent (quatorze fois la France), voué à la cause de trois sports pratiqués avec une balle ovale : le populaire football australien, le rugby à XIII et le « délaissé » rugby à XV. 

Les Australiens n’y vont pas par quatre chemins. Lorsqu’ils parlent ou écrivent sur les sports de balle ovale, ils emploient le mot « guerre ». Chaque saison, à la fin de février, à l’heure où l’été austral hiberne, le coup d’envoi de la guerre des trois est lancé. Simultanément, le populaire et viril football australien, baptisé « Aussie Rules », le brutal rugby à XIII, signé « Rugby League » (du nom de son championnat national) et le rugby à XV, communément appelé « Rugby Union », rythment l’automne. Simultanément, cette guerre sans mort s’étale sur tous les terrains des principales villes côtières du continent, régale des moyennes de 20.000 (pour le XV) à 80.000 (pour le football australien obligé d’évoluer dans l’aire de jeu ovale et géante des stades de cricket) spectateurs et spectatrices, envahissent la une des colonnes sportives de tous les quotidiens australiens et réduit le cricket à sa plus simple et unique expression, l’ennui. 

De cette guerre des trois ne sort qu’un virtuel vainqueur, l’ovale : « Ici, au bout de ce que vous, les Européens, appelez « le bout du monde », nous avons dû nous bagarrer pour exister », raconte l’aborigène Mark Ella sans rire. Et l’ex-wallaby de la fin de années quatre-vingt d’ajouter : « Comme les Sud-Africains, délaissés au bout du continent africain, comme les Néo-Zélandais oubliés au bout de la planète, nous, les Australiens, obligés de lutter contre les éléments pour bâtir notre nation, nous avons été obligés de combattre pour vivre, survivre, et nous faire respecter : nous, les gens de l’hémisphère Sud, nous faisons parler notre force physique. Et nous aimons, sans doute, la montrer ! Nous, les gens de l’hémisphère Sud, nous aimons l’aventure, donc l’imprévu. Et quoi de plus imprévisible que le « bloody » (« putain », en anglais rustique - NDLR) rebond d’une balle ovale. » 

En Australie, le football australien est roi. Sport rapide et physique à l’image des gens qui ont bâti ce continent, sport dérivé du football gaélique pratiqué en Irlande mais sport inventé par les Australiens enclins à se démarquer de l’emprise anglo-saxonne. Ce sport collectif dément où tout semble permis fait de l’ombre au rugby à XIII et au rugby à XV : « Et, en plus, note Mark Ella, ce football se fout pas mal de créer ou de participer à l’élaboration d’une compétition internationale ! » Dans certaines villes comme Perth, capitale de l’Etat de l’Australie occidentale, comme Adélaïde (capitale de l’Etat de l’Australie du Sud, aussi éloignée de Perth que Moscou l’est de Paris), ou comme Melbourne (capitale de l’Etat du Victoria), les chopes ne s’entrechoquent que pour le football australien et ses dix-huit protagonistes.

Le dimanche, entre des retransmissions de compétitions aux divers enjeux internationaux ou nationaux, les télévisions australiennes diffusent successivement deux, voire trois rencontres en direct, soit trois fois cent minutes de jeu hachés de tranches de pub juteuses et d’incursions traditionnelles de civières ramasse-miettes humaines. Et le lundi, le quotidien de l’Etat consacre une page par rencontre. A la brève rubrique des résultats est relégué le rugby à XV. Parfois, même la très détaillée feuille de la rencontre dégringole dans la rubrique des oubliettes. Toutefois, au hasard d’une belle prestation du wallaby retraité David Campese, vedette bedonnante et grisonnante de l’équipe de la Nouvelle-Galles du Sud (capitale Sydney), engagé dans le désormais fameux « Super 12 », le quotidien local peut se fendre d’un petit article élogieux. Mais rien de mieux. 

En Australie, pays par excellence de costauds rustiques qui aiment à s’exprimer par biceps et quadriceps interposés, la Mecque du rugby à XV se trace sur un unique axe entre Canberra, capitale du pays, Sydney et Brisbane, toutes sur la côte est. Sur ce continent abritant seize millions d’âmes, dont 70% campent sur les villes côtières aux plages à surfers, les 125.000 quinzistes sont trois fois moins nombreux que les joueurs de football australien et deux fois moins nombreux que les treizistes. Toutefois, ces troisièmes enfants de la balle ovale plagient à volonté et avec brio leurs frères ennemis : « Nous essayons de tirer au mieux de cette situation de guerre des trois rugbys », poursuit Mark Ella, néo-chroniqueur dans une revue ès rugby à XV. Et l’ancien ouvreur légendaire en convient : « Nous essayons de devenir aussi rapides et aussi adroits que les mecs du football australien. Eux, ils ont presque un sens inné pour deviner où va rebondir l’ovale. Et puis, nous essayons d’être aussi bons sur les placages et les passages en force que les gars du XIII. Eux, ils ont un mental agressif qui peut parfois nous faire défaut à nous les quinzistes. Nous, un tantinet puristes, moins physiques dans notre manière d’aborder notre rugby, plus stratégiques, plus tactiques. Je pourrais presque dire… intellectuels ! » 

 CLAUDE HESSEGE (article publié dans l'Humanité en 1997)
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