Jean Dauger, légende bayonnaise

Jean Dauger (dit Manech) est un joueur français de rugby à XV et de rugby à XIII, né le 12 novembre 1919 à Cambo-les-Bains, décédé le 23 octobre 1999 à Bayonne. 

Trois-quarts centre (l'un des tout meilleurs mondiaux à ce poste) de 1 m 82 pour 84 kg, il est titulaire à Bayonne en 1936 à l'âge de 17 ans tout en travaillant localement au cadastre. En 1938, il opte pour le semi-professionnalisme du rugby à XIII et le RC Roanne XIII aux côtés de Robert Samatan et Max Rousié tout en travaillant parallèlement à l'usine Devernois, n'appréciant guère les mœurs pseudo-amateurs du championnat de l'époque. 
En 1941, il revient à Bayonne car le Régime de Vichy et sa Révolution nationale ont interdit le rugby à XIII. Ses deux sélections de 1945 en équipe de France de rugby à XV (le 1er janvier 1945 face à l' Army Rugby Union (salué par Jacques Chaban-Delmas qui sera avec lui dans la sélection suivante face à l' Empire britannique le 28 avril 1945), provoquérent une très grave crise avec les fédérations d'outre-manche, d'où une éclipse de 8 ans. 

Sa dernière sélection du 10 janvier 1953, entraîna aussi une nouvelle crise avec la fédération écossaise. Il continuera à jouer pour Bayonne jusqu'en 1956; il est le grand trois-quarts centre français qui inspira ses successeurs : Jean Prat, Roger Martine, André Boniface Lui même était déjà le fils spirituel de l'Agenais et Roannais (rugby à 13) Robert "Bob" Samatan. 
Il devint par la suite journaliste à Paris-Presse et publia un livre fort drôle consacré au rugby: Histoires... de rugby (éditions Calmann-Lévy 1965, réédité en 1967) préfacé par Jean Prat, ainsi que Le Rugby en dix leçons. En 1973, il est le co-sélectionneur de l'équipe de France à XV, avec Jean Desclaux.
Le 3 juin 2001, le Parc des Sports Saint-Léon devient le stade Jean Dauger à Bayonne. Fait notable, ses sélections internationales s'étalèrent de 1938 à 1953. Bayonne est une ville placée sous le signe deux. Une ville sur deux cours d’eau, une ville sous deux clochers. La légende de son rugby ne fait pas exception : elle s’est construite sur les épaules de piliers de marbre et d’airain mais aussi avec les gestes aériens de ses grands trois-quarts. Un double visage que peu de clubs français présentent. Il donne à la longue histoire de l’Aviron Bayonnais un sentiment mêlé d’équilibre et de sérénité, celui-là même que l’on retrouve lorsque le soir tombe sur les rives brumeuses de l’Adour. Jamais un joueur et son club n'ont fait qu'un comme Jean ''Manech'' Dauger et l'Aviron Bayonnais. 

Il est né le 12 novembre 1919 à Cambo, au Pays Basque. A 15 ans, il aborde, béret à la main, le président Georges Darhan pour lui demander de réaliser son rêve: jouer à l'Aviron Bayonnais. Quinze jours plus tard, incorporé dans les tous jeunes juniors, ''Jeannot'' réussi, en chaussettes, son premier drop. On lui trouve bien vite une paire de chaussures de rugby et, à l'ouverture, il forme pendant deux ans, avec Tastet, le tandem d'une fameuse équipe qui parvient en demi-finale du championnat de France. Dès la fin de la saison, Jean joue quelques matchs en première équipe. Il est époustouflant... 

Alors seulement âgé de 18 ans, il était déjà un grand de ce jeu, traversant les défenses soudainement réduites à l’immobilité, dérisoire, de soldats de plomb que passerait en revue un général fantasque et frisé, tête droite et fière sur un corps d’Apollon. Le fait n’était pas passé inaperçu. Le club de rugby à XIII professionnel de Roanne l’avait acheté pour une bouchée de pain en 1937 et ‘’Jeannot’’ ne s’était jamais caché pour préciser qu’il avait été vendu par ses parents, « avec mon frère en plus » avait-il ajouté. 
On n’a rien inventé aujourd’hui, voyez-vous… Il aura le temps de devenir champion de France et international de l’autre rugby avant de revenir à Bayonne, toujours en possession de son incomparable talent. Illustration de la ''manière bayonnaise'', il est champion de France en 1943, avec son club ''natal''. Attaquant numéro un, aussi bon défenseur, Jean Dauger est, sur le terrain, un modèle de patience, car nul n'est plus marqué que lui. Que de placages à retardement à son adresse ! De sa part, jamais un réflexe brutal, un geste de représailles ! Parce qu'il a joué deux petites années dans le rugby à XIII rémunérateur, Jean Dauger ne connaîtra pas la carrière internationale qui aurait dû être sienne.
Il sera requalifié en 1945 et découvrira le Tournoi des Cinq Nations en 1953, « comme un junior » dira-t-il. En raison du diktat des Anglais, à l’époque intransigeants avec les sacro-saintes règles de l’amateurisme, l'équipe de France aura dû se passer du « meilleur centre de tous les temps » disent les observateurs. Sans ces longues années de grisaille, il compterait bien cinquante sélections et d’autres titres de champion de France.
Avec la télévision d’aujourd’hui, il serait une idole… Il n’aimait pas ce mot : il préférait celui d’exemple, poursuivant la lignée de ses formateurs, le ‘’Gallois-Bayonnais’’ Harry Owen Roe en tête qui lui fit ses premières passes. Pour tous ceux qui élèvent le rugby à la hauteur d’un art, Jean Dauger a été le premier créateur, le père, grand-père, inspirateur d’une grande lignée de trois-quarts centre altruistes, élégants, inspirés. Maurice Prat et Roger Martine, les frères Boniface, Maso et Trillo, Sangalli et Bélascain, Codorniou et Sella, tous sont des enfants de Dauger. 

Avant-guerre puis à la Libération, il fut l'attaquant vedette du rugby français. Puissant, racé, en un mot magnifique, le centre bayonnais incarna le jeu qui plaît et qui gagne. Héros de plusieurs générations dans les deux rugbys, le treize professionnel et le quinze amateur, modèle et référence, il a donné à la passe et au cadrage-débordement ses lettres de noblesse qui se transmettent encore aujourd’hui. 

Transmettre : s'il est un mot pour résumer Jean Dauger, et c'est un sacrilège, c'est bien cet art de faire passer le ballon comme un frisson pour l'offrande, pour faire marquer le partenaire, l'ami, pour le décaler, lui offrir l'air et l'espace. Jean Dauger a transmis sa passion pour le geste juste. Il reviendra donc tenir une brasserie au centre ville, tiendra la baraque à l’Aviron et éleva ses trois filles avec sa merveilleuse épouse Annie. Jean Dauger fut l’ami des plus grands. Il enseigna le rugby aux enfants de riches de Lys-Gentilly, avait loge ouverte à Roland-Garros, distillait quelques bons mots au cours de mémorables virées sur le paseo de San Sebastian. Parlant de tel attaquant plus fougueux que technique, il avait dit : « Celui-là, il est meilleur à un contre deux qu’à deux contre un ». 

Devenu journaliste, on lui doit l’expression « les gros pardessus » pour désigner les prélats de la Fédération Française de Rugby, engoncés dans leurs certitudes. Il recevait chez lui les écrivains Kléber Haedens et Antoine Blondin. Ce dernier écrira le 15 novembre 1956 sur cette « sorte de génie du ballon ovale » : « J'ai vu Jean Dauger chez lui, à Bayonne. Je n'hésite pas à déclarer que parmi les athlètes que j'ai eu l'honneur de rencontrer, c'est une des personnalités qui m'ont le plus impressionné ! Une grande passion enflamme cet homme, un feu couve sous cette statue harmonieuse, que chaque geste à la fois exprime et contient. L'intelligence, la sensibilité, le muscle, en font un monument en actes, dédié au rugby. Ecartant ses mains, qui semblent toujours tenir un ballon imaginaire, cet exilé de l'intérieur me disait qu'il aimait son sport parce qu'il reflétait toutes les qualités de l'existence ordinaire. C'était là une première leçon: on est sur le stade comme on est dans la vie. Quand nous nous séparâmes, il me souhaita seulement sur le pas de la porte ''beaucoup d'alegria pour les jours à venir''. C'est cette alegria, ce mot de soleil que j'emporte avec moi pour passer l'hiver. 
J'ai le sentiment de l'avoir reçu comme un ballon. » L’annonce de sa disparition, le 23 octobre 1999, ne bouleversa pas les manchettes la veille du quart de finale France-Argentine de l’avant-dernière Coupe du monde. Mais elle fit baisser les yeux de ceux qui avaient aimé le jeu d’avant, le rugby de Jean, la beauté du geste, le temps qu’il faut pour en parler et toute l’émotion qui s’y rattache. Ce soir-là, dans sa suite de l’hôtel Marrion à Dublin, Jo Maso, devenu manager du XV de France, a appris la funeste nouvelle à André Boniface. « C'est un morceau de notre vie qui tombe. Il a été le premier des messagers. En 1968, Maurice Prat et Roger Martine avaient invité à Lourdes tous les jeunes centres à venir passer quelques moments, en faisant des passes, en parlant beaucoup. C'était extraordinaire, émouvant. Jean Dauger était là, au milieu de nous, avec son éternel sourire. Il restera au fond de nos cœurs car on l'a aimé. Il n'engendrait que du bonheur, cet homme exquis…» A une période où il commençait à ne plus savoir où il avait trouvé tant de cèpes la dernière fois dans l’arrière Pays Basque, il avait murmuré : « Je n’ai plus de mémoire, je n’ai que des souvenirs… »
Je garderais toujours l’image d’un soir d’automne où, rejoignant des copains au Garage de la Nive, je passais devant sa grande photo de l’entrée, tombant alors nez à nez avec le vieux monsieur, s’excusant de son statut d’icône par un petit sourire malicieux. La mort ne plaque pas un mythe : Hermès en crampons, messager de l'attaque, Jean Dauger fixe à jamais les plus nobles idées de ce jeu. 

A l’unanimité, par acclamations, le Conseil municipal de la ville de Bayonne donnera son nom au Parc des sports ‘’Saint-Léon’’. Le 3 juin 2001, l’inauguration officielle dévoilera sa statue de bronze à l’entrée. Sur son socle, une phrase fétiche du grand joueur : « La passe est une offrande ». Le résultat du match qui a suivi est accessoire, disons seulement qu’il y avait sur le terrain trois des petit-fils du maître, Vincent Etcheto, Thomas et Julien Ossard… Il paraît que la beauté sauvera le monde. Le regard et les gestes de Jean Dauger ont sauvé bien des après-midi désertées par le soleil et l’esprit. Quand, de sa ligne de but, il décidait de partir comme partent les grands migrateurs attirés par des signes qu’eux seuls perçoivent. Le ballon dans ses deux mains, devant le buste haut et droit, comme on porte un calice, et les défenses adverses qui s’écartent, se distendent et se trouent dans une étrange facilité. A leurs sommets intouchables, la justesse et la précision finissent en un sentiment de beauté lente. Les gestes miraculeux se déposent alors, pour l'éternité, dans les mémoires à jamais fertiles des hommes d'Ovalie, comme des poussières d'étoile.
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